Capitole du Libre et discriminations

Pour que l’inclusion aille au delà des intentions

Le logo du Capitole du Libre
events politics

Le weekend du 16 et 17 novembre 2024, j’ai eu le plaisir d’aller au Capitole du Libre (CdL), une chouette conférence tenue tous les ans à Toulouse, et j’ai envie de revenir dessus. Le CdL rassemble la communauté libriste française, avec une représentation notable du milieu associatif. On y trouve un village associatif rassemblant un large pan du milieu libriste français au delà du logiciel, des présentations techniques accessibles à tous les niveaux de connaissance, et des présentations plus politiques qui proposent de réfléchir et faire évoluer le mouvement libriste. Ça en fait une conférence très joviale et conviviale où l’on peut venir en famille.

J’ai déjà participé au CdL par le passé, y tenant des stands pour parler de GNOME sur smartphones en 2018, 2019 et 2022. De plus en 2019 j’y ai donné une présentation sur mes travaux pour porter GNOME sur smartphones, et en 2022 j’ai eu le plaisir d’interviewer David Revoy dans les couloirs de la conférence. C’est une conférence que j’apprécie et à laquelle j’aime participer, et 2024 est la première édition où j’y suis allé en visiteur.

Des présentations marquantes

Une fois n’est pas coutume, je suis venu au CdL pour assister à des présentations, et quelques unes m’ont agréablement marqué. Voici un bref récapitulatif par ordre chronologique de celles qui ont constitué les points hauts de ma visite.

Le samedi , Valentin Deniaud a donné une présentation piquante et très drôle sur la lutte de l’éditeur de logiciels libres Entr’ouvert contre Orange, narrant comment le géant des télécoms a été condamné après des décennies de lutte pour non respect d’une licence libre. La présentation pleine d’anecdotes et d’humour dresse un parcours laborieux dans divers types de droits et dans la justice française.

Le même après-midi , Armony Altinier et Jean-Philippe Mengual nous ont fait une démonstration des limitation de l’accessibilité de la plate-forme d’apprentissage Moodle aux personnes non-voyantes. La présentation explique surtout comment les personnes utilisant cette plate-forme pour proposer du matériel éducatif peuvent adapter le contenu pédagogique et les méthodes d’évaluation pour une plus grande inclusivité.

Le dimanche , un intervenant représentant l’association Skeptikón a dressé les liens entre logiciels libres, scepticisme et politique. La présentation nous invite à faire face aux temps sombres que profile la montée globale du fascisme, présentant divers moyens d’y faire face comme le scepticisme, le librisme et le syndicalisme, le point d’orgue étant mis sur la nécessité de combattre le sentiment d’inanité et le fatalisme en créant du nous.

Elle a été suivie par une présentation d’Isabella Vanni décrivant le fonctionnement de l’April et son cheminement pour mieux inclure la diversité de genres. Partant des origines de l’informatique dévalorisée et féminisée pour aller jusqu’à sa valorisation et sa réappropriation par les hommes dans les années 1980, elle présente les mécanismes qui freinent la ré-inclusion des femmes dans le secteur et des moyens de lutter contre.

La conférence reprend par une présentation de Khrys, nous offrant une plongée dans les origines féminines de l’informatique, tissant des liens avec l’intelligence artificielle et le luddisme. Par le prisme du mythe de Prométhée et de ses diverses réinterprétations en science-fiction, elle confronte les visions patriarcales et féminines des innovations techniques, nous invitant à être technocritiques envers les intelligences artificielles via une approche féministe.

Des intentions d’inclusion sans application

Le CdL est doté d’un code de conduite que chaque participant·e se doit de respecter, qu’ils et elles soient visiteurs·euses, invités·es ou organisateurs·ices. Le code de conduite déclare que les organisateurs·ices souhaitent éviter tout type de discrimination, que le non respect de ces règles de bienséance pourra entraîner l’exclusion de l’évènement et nous invite à signaler toute discrimination dont on est victime ou témoin.

Tout cela est louable mais sa mise en application me pose quelques problèmes. Comment faire un retour quand c’est l’organisation de l’évènement dans sa globalité qui est discriminante, empêchant des pans entiers de la population d’y accéder ? Comment faire un retour quand les discriminations sont causées sur la scène principale par des intervenants·es pendant des présentations ou la table-ronde, sous les yeux de l’organisation qui laisse faire sans répondre ? Car de la discrimination au CdL il y en a, il y en a beaucoup même, mais elle n’est pas forcément où l’organisation s’y attend.

Si ce n’est pas ma première participation au CdL, c’est ma première en tant que visiteur et confronter ces deux expérience me faire prendre conscience des œillères qu’on peut avoir vis-à-vis du déroulement de l’évènement quand on est affairé·e à son animation, qu’elles soient par volonté de ne pas faire de vagues ou parce qu’on a la tête dans le guidon. Je suis donc convaincu de l’honnêteté des intentions de l’organisation du CdL, tout autant que je suis convaincu que les problèmes sont de fond, et sont communs aux milieux du libre et à de trop larges pans des milieux socialistes. Allez dans n’importe quelle conférence et vous trouverez une partie de ces problèmes, et probablement d’autres encore.

Pour ces raisons, j’ai décidé de faire un retour sur les problèmes dont j’ai été témoin non pas à l’organisation du CdL directement, mais par cet article pour appeler la communauté libriste toute entière à se remettre en question. Dans la suite de cet article, je vais tenter d’expliquer ce qui constitue à mes yeux des problèmes de l’évènement et d’offrir des pistes pour y remédier.

Invisibilisation des luttes des travailleurs·euses du libre

Le samedi s’est clôturé par une table-ronde sur les modèles de gouvernance des projets libres. Si les échanges étaient intéressants, on a pu entendre plusieurs fois qu’il n’y a pas de licenciements dans les logiciels libres. Je ne comprends pas d’où peut venir une telle affirmation, sinon peut-être d’une vision très limitée de ce qu’il se passe dans nos milieux.

Je connais beaucoup trop de personnes licenciées qui travaillaient pour des multinationales du libre, mais également des organisations à but non-lucratif, des coopératives ou encore de petites associations. Les vagues de licenciements chez Red Hat et Mozilla de ces dernières années devraient suffire de vous convaincre, pour ne citer que les exemples les plus médiatisés. Et au delà des licenciements, les travailleurs·euses du libre sont aussi victimes de harcèlements et des mises au placard.

Et ça c’est sans parler de la précarité du milieu, supérieure à celles des autres milieux de l’informatique. Contrats précaires, salariat déguisé, freelance, exploitation du travail passion, travail bénévole, alternance entre embauche et non-emploi, le tout sans nécessairement de chômage entre temps. Tout ça est très fréquent. Je me suis énormément retrouvé dans ma lecture de Te plains pas, c’est pas l’usine, quand bien même je n’ai jamais travaillé dans le milieu associatif, il y a une exploitation très similaire dans les milieux libristes, exploitation fondée sur un sentiment de devoir pour le bien commun et des injonctions à l’abnégation et au don de soi. Alors qu’il s’agît certes de luttes, mais avant tout de relations de travail dans une économie capitaliste.

On parle tout le temps des licences libres, mais trop peu des licenciés·es du libre, et ce genre de discours déconnectés de la réalité dans nos milieux participent à l’invisibilisation de leurs luttes. Par solidarité on devrait s’y intéresser. Peut-être que cet écueil ne serait pas arrivé si la table était réellement ronde et incluait l’auditoire au lieu d’être une discussion descendante entre quatre grands noms du milieu.

Incommodation de personnes handicapées

Pour plein de raisons que ce soit, on n’a pas toustes assez d’énergie pour tenir une journée entière, d’autant plus une journée de conférence. Les rares lieux de repos sont la cour intérieure et des bancs de béton dans le bruyant, passant et illuminé hall principal. Les conférences peuvent être épuisantes pour moi, et lorsque j’ai dû à certains moments trouver un endroit calme où me reposer à l’abris du froid, le mieux que j’ai trouvé était par terre dans un couloir passant, ce qui vous vous en doutez n’est pas idéal.

Il y a plein de choses à faire pour améliorer ça qui ne coûtent pas grand chose. Une salle de repos un peu isolée, avec des chaises, calme, dans la pénombre et clairement indiquée serait plus que bienvenue. En complément ou à minima, avoir quelques chaises disposées çà et là permettrait un repos de meilleure qualité et plus fréquent. En complément, avoir plus de tables de bar près de la buvette permettrait aux personnes de manger leur crêpe et de boire leur café sans occuper une des rares places assises simplement pour répondre à leur besoin de libérer leurs mains.

Je dois louer l’organisation du CdL pour fournir un son clair et audible, ce qu’en tant que personne malentendante j’apprécie. Cela dit le son était parfois beaucoup trop fort, notamment lors de projections de vidéos promotionnelles auxquelles le son n’apportait rien de pertinent. Étant également hypersensible auditif, je dois avouer que ces rares moments étaient particulièrement pénibles et venaient contribuer à ma fatigue. Je n’ai pas eu le temps de me ruer sur mes bouchons d’oreille, le son était tellement fort et incommodant que je n’ai eu d’autre choix que de me boucher les oreilles avec les doigts en attendant que ça passe. Faire plus attention au niveau sonore serait bienvenu.

Stigmatisation des personnes psychiatrisées

Lors d’une présentation, une slide déclare que « le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mise dans les mains d’un psychopathe », soulignée d’une image d’Elon Musk éclatant une porte avec une hache, faisant référence au film Shining. La personne présentant affirmant que c’est une citation d’Albert Einstein, comme pour appuyer la spiritualité du propos. Un peu plus tard dans la présentation, et à moins que ma mémoire ne me fasse défaut, le terme est réutilisé pour qualifier les personnes qui emploient des termes misogynes.

Psychopathe est une insulte saniste qui stigmatise les personnes psychiatrisées. Il disqualifie une personne en lui associant une tare psychologique infamante, méritant au mieux le mépris et le rejet, au pire l’enfermement ou la mort. Le simple fait d’utiliser ce terme participe à légitimer le système saniste dont souffrent les personnes psychiatrisées.

Ce terme médicalise les comportements perçus comme déviants, l’appliquer à Elon Musk pour qualifier ses actes revient à expliquer son fascisme par une tare mentale. Ses comportements s’expliquent pourtant très bien par son status social, et chercher à l’en extraire pour les expliquer par d’autres moyens dépolitise la situation. Elon Musk a de tels comportements parce que c’est un milliardaire fasciste, un influenceur libertarien, un colon blanc, un transphobe. Il en va de même pour les misogynes, je pense que n’importe quelle féministe sera d’accord pour dire que le patriarcat n’est pas une question de pathologie, et je suis convaincu que les féministes psychiatrisées n’apprécient pas d’être associées à des misogynes. Cette psychiatrisation du politique prend également forme dans l’injonction à voir un·e psy.

Pourtant en entretenant le sanisme, on entretien un système qui vise en grande partie à enfermer les personnes en lutte pour leur émancipation. Les esclaves luttant pour leur libération étaient psychiatrisés·es, les femmes luttant contre le patriarcat étaient psychiatrisées, les personnes homosexuelles étaient psychiatrisées, les opposants politiques étaient ou sont toujours psychiatrisés·es, les personnes trans sont toujours très activement psychiatrisées. Pour maintenir les hiérarchies on médicalise, psychiatrise, enferme, médicamente, camisole et ôte de toute agentivité les personnes en révolte contre les dominations qu’elles subissent. Voilà ce qui se cache derrière le terme psychopathe. Jamais un fasciste n’a été enfermé pour ses idées, jamais un homme pour sa misogynie.

Quand après sa présentation, je suis allé brièvement demander à la personne de ne plus utiliser ce terme, elle a justifié que c’est une citation d’Einstein. La comparaison des personnes psychiatrisée à des fascistes et des misogynes, ça n’est pas d’Einstein, pas plus que c’est Einstein qui a inclus ce terme dans la présentation. Einstein a dit plein de choses, pourquoi d’entre toutes retenir celle là ? Et si le but est d’avoir une citation à propos, pourquoi en choisir une saniste datant de 1917, ignorant plus d’un siècle de luttes ?

Il aurait été possible de choisir n’importe quelle autre citation, voire de se passer de citation, mais c’est celle là qui a été retenue. Il aurait même été possible d’utiliser la citation mais en la commentant, soulignant qu’elle est problématique et pourquoi, mais à ce compte autant ne pas l’utiliser puisque c’est hors-propos de la présentation. Mais surtout, ll aurait été possible de ne pas réemployer ce terme plus tard, hors de toute citation servant d’excuse à son utilisation. Les personnes psychiatrisées ne sont pas des punchlines.

Lors d’une autre présentation on apprend que lors du procès de Nuremberg, le nazi Hermann Göring a été jugé contre toute attente parfaitement sain par les psychologues. La personne présentant tentait de démontrer que les idées politiques ne sont pas une question de santé mentale, mais l’a fait sans démonter l’idée même de santé mentale, laissant penser que le fait que ces personnes aient été jugées saines serait une anomalie. Il me semble donc important de compléter en démontant l’idée même de santé mentale, qui comme j’ai tenté de l’expliquer plus haut est avant tout un outil d’oppression. Pour aller plus loin, je vous recommande de lire l’article L’abolition carcérale doit inclure la psychiatrie. Je précise que lutter contre la psychiatrie ne revient pas à nier les difficultés neurologiques ou psychologiques que peuvent rencontrer des personnes, ni le fait que le système psychiatrique peut parfois les aider. Mais si le système psychiatrique peut les aider, c’est parce que c’est l’unique moyen alors à notre disposition pour faire du soin mental et ce principalement pour des raisons de légalité, ce qui ne doit pas servir à nier que le système psychiatrique est avant tout un système de contrôle des corps et des esprits et une extension du système carcéral. Le soin doit se faire malgré la psychiatrie, pas grâce à elle. Le fait que les nazis aient été trouvés sains par les psychologues du procès de Nuremberg complète et illustre ce que je disais plus haut sur le rôle de la psychiatrie comme outil de domination.

On apprend dans le même temps que les psychologues ont donné à Hermann Göring un quotient intellectuel de 138, soulignant avec surprise que les nazis ne sont pas nécessairement idiots. Au delà du fait que la notion d’intelligence est en elle même très discutable, le QI est intrinsèquement un outil de hiérarchisation conçu par des bourgeois blancs pour se dresser au dessus des autres, réduisant les personnes à un unique nombre masquant sa méthode de calcul et les biais qui la constitue, mais offrant une illusion de scientificité. Le QI a principalement été utilisé en soutien au racisme, hiérarchisant l’intelligence des races pour justifier le colonialisme, et il suffit de regarder une carte mondial des QIs pour s’en convaincre. Rien d’étonnant donc qu’un bourgeois blanc ai un haut QI, l’outil fonctionne comme prévu. Et au delà du QI, ramener le fascisme à une notion d’intelligence dépolitise là encore le sujet et stigmatise les personnes qui en sont en réalité victimes.

Je tiens à présenter mes excuses à la première personne citée dans cette section et à qui je suis allé brièvement parler en aparté après un présentation autrement louable, j’espère ne pas avoir contribué au stress de l’évènement, mais par antivalidisme je ne pouvais pas laisser passer l’utilisation d’un tel terme. De même, je tiens à présenter mes excuses à la seconde personne et à son audience pour avoir monopolisé la parole pendant le court temps alloué aux questions, après là encore une excellente présentation.

Stigmatisation des personnes racisées

Lors de la table-ronde du samedi soir, une personne évoque la récente faille de sécurité injectée au logiciel xz suite à une longue infiltration. Elle semble avant tout avoir retenu une chose de cet épisode, à savoir la nationalité chinoise de la personne infiltrée puisqu’elle a cru pertinent de commenter en feignant une gêne que, puisqu’on n’est qu’entre nous cette personne peut l’avouer, elle a peur quand elle voit des contributions aux logiciels libres qu’elle maintient venant de personnes de l’est, de Russie, d’Asie du sud. Cette personne savait pertinemment que la table-ronde était filmée et allait être publiée, et elle a pu dire ça sans la moindre réaction ni des autres personnes sur scène, ni de l’organisation de l’évènement. Le public quant-à lui n’a jamais eu la parole de toute la table-ronde, empêchant toute réponse tierce dans le cadre de la conférence.

Erratum du  : il y a bel et bien eu un tour de questions que j’avais fini par oublier, et ce malgré une intervention que j’avais trouvée salutaire répondant à une vision très libérale de l’inclusion partagée sur scène.

Virtuellement tous les pays, tous les états pratiquent l’infiltration, l’injection de backdoors, les attaques virales, y compris les états occidentaux, y compris la France. Je serais tenté de dire que c’est probablement avant tout les états occidentaux qui en sont la source, il n’y a qu’à voir l’étendue du virus étasunien Stuxnet pour s’en convaincre. Pourtant ce n’est pas des logiciels développés par la CIA ou encore l’armée française que cette personne a remis en question, comme si l’informatique devait rester avant tout une préoccupation d’occidentaux. Le problème, c’est les sud asiatiques. Disons-le clairement, ce à quoi on assisté durant cette table-ronde n’est rien de plus que de la xénophobie éhontée, du racisme.

Le pire étant que ces immondices racistes ont été dites en réponse au fait qu’une autre personne de la table-ronde ai loué les contributions des personnes venant de régions en guerre au Moyen-Orient. Des tas de nos camarades libristes viennent de Russie ou de Chine, d’autres y vivent et subissent au quotidien le fascisme de ces états. Et que dire des camarades libristes des pays réprimés par les états occidentaux et les USA plus particulièrement ? Des mainteneurs du noyau Linux ont très récemment été virés du projet car russes, mais il n’y a pas de licenciements dans le libre nous a-t-on annoncé dans cette même table-ronde. Ni de racisme, manifestement, puisque l’organisation du CdL n’a pas réagi.

Plus tard, cette même personne nous annonce fièrement tutorer pour le Google Summer of Code. J’ai été tuteur pour cet évènement à deux reprises, et je sais qu’il y a une représentation notable des personnes d’Asie du sud parmi les candidats·es stagiaires. Ça m’inquiète pour la sélection des candidats·es que cette personne peut opérer, de même que pour la qualité de l’encadrement et le traitement des stagiaires.

Exclusion des personnes sourdes

Au delà d’être très intéressante, la présentation d’Armony Altinier et Jean-Philippe Mengual était lunaire et ce pour une raison toute simple : des personnes sourdes étaient venues assister à l’unique présentation de toute la conférence sur l’accessibilité et absolument rien n’a été mis en place par le CdL pour les inclure. Armony et Jean-Philippe se sont retrouvés·es à pallier le manque en ouvrant un éditeur de texte et en s’échangeant le clavier à tour de rôle pour retranscrire tant bien que mal ce que l’autre disait. Même si elle a trouvé ses limites lors des démonstrations où l’éditeur de texte a dû être masqué et où le clavier était sollicité, leur démarche et adaptivité a été plus que louable pour pallier les manquements de l’organisation de la conférence.

Imaginez la scène, deux personnes avec différents handicaps qui se retrouvent à devoir bricoler pour compenser l’accessibilité de la conférence à des personne ayant encore une autre catégorie de handicap ! Et tout ça, de nouveau, pendant l’unique présentation de toute la conférence ayant rapport avec le handicap et plus exactement avec le manque d’accessibilité. Pourtant des solutions existent. Idéalement, avoir des interprètes en langue des signes française pour inclure les personnes sourdes et avoir des personnes pour faire la transcription en sous-titres pour inclure les personnes mal-entendantes.

Ces solutions peuvent certes coûter cher en main d’œuvre, mais même sans moyens il est possible de bricoler des choses. Des logiciels libres de transcription existent comme Live Captions, et même si ces logiciels sont imparfaits, les avoir sur un écran dédié déporté ou sur la machine des présentateurs·ices permettrait de limiter l’exclusion. Et si on considère que ces logiciels libres ne sont pas suffisants, il ne faut pas hésiter à passer par des logiciels propriétaires, l’inclusion doit passer avant le purisme.

De plus, écrire les sous-titres en direct et sur place permettrait de compenser des soucis de captation audio et permettrait de plus rapidement publier les captations vidéo avec leurs sous-titres, pour toujours mieux inclure les personnes sourdes et mal entendantes. Enfin ce ne sont pas les seules personnes handicapées à bénéficier de sous-titres et de nombreuses personnes souffrant de troubles de l’attention arrivent mieux à suivre quand il y a à la fois de l’audio et des sous-titres, avoir des sous-titres en direct faciliterait leur participation et limiterait leur fatigue.

Addendum du  : on m’a fait remarquer que des sous-titres français permettent de mieux inclure les personnes dont le français n’est pas la première langue que l’audio français seul. Je suis pourtant bien placé pour le savoir, ayant réussi début octobre à suivre un documentaire grâce à ses sous-titres en italien alors que je ne connais pas la langue. De la même manière, on m’a fait remarquer que l’interprétation en langue des signes française permet de mieux inclure les personnes dont le français n’est pas la première langue que des sous-titres français.

Exclusion des personnes craignant pour leur santé et propagation des épidémies

Hé, regardez sous le tapis, c’est le covid, il n’est jamais parti, on l’y a glissé et on fait comme s’il n’existait plus. Pourtant c’est toujours une cause de mortalité majeure, et le covid long continue d’handicaper un grand nombre de personnes. J’ai des amis·es et camarades libristes qui ont acquis des handicaps parfois très sévère suite à de « petites grippes » ou du covid, et ce n’étaient pas des personnes dites « à risque ». Je parle de perte d’odorat définitif, de grande fatigue chronique ou de grande réduction de la mobilité. Et c’est sans mentionner les autres maladies comme la coqueluche, ni sans parler des morts. On continue de faire comme si de rien n’était, on n’a rien appris du début de la pandémie du covid et on redevient eugénistes pour un confort fantasmé.

Je peux porter un FFP2 tant que je veux pendant la conférence, il ne fait que vous protéger des virus que je pourrais diffuser, il ne me protège pas de ceux que vous diffusez. Pourtant éviter la propagation de maladies aéroportées, les gênes qu’elles occasionnent, les handicaps et les morts ne demande pas grand chose. Aérer les endroits clos tant que possible et se masquer dans les endroits de passage et confinés tels que les transports en commun, les supermarchés ou les conférences suffiraient à grandement réduire le nombre d’infections. Mais pour que ça fonctionne, encore faut-il qu’on se protège les uns·es les autres. Refuser de se masquer est eugéniste, c’est considérer que la maladie c’est pour les autres, qu’on est fort·e et que les handicaps et les morts sont acceptables. Il ne faut surtout pas attendre d’avoir des symptômes pour se masquer, on peut être porteur·se asymptomatique et participer à la diffusion de maladies, qu’on finisse par les développer ou non. De plus lorsqu’on développe une maladie telle que le covid ou la grippe, on a déjà participé à sa propagation pendant plusieurs jours. Porter un masque quand on le peut et quand c’est pertinent est devenu un acte radical de soin communautaire, c’est déprimant.

L’organisation du CdL contribue à cette situation, je n’ai vu aucune recommandation à se masquer, aucun système de filtration, aucune aération, pas même des fenêtres ouvertes qui ne coûtent pourtant littéralement rien. Ce n’est pourtant pas faute de sensibilisation, de documentation et d’actions de la part de l’Association pour la Réduction des Risques Aéroportés. Cabrioles ou Autodéfense Sanitaire fournissent également des ressources à ce sujet. L’autodéfense ne peut pas être individuelle, et sans actes collectifs tout le monde est vulnérable, sans prise en compte sérieuse des risques sanitaires par l’organisation de l’évènement personne n’est protégé.

Au delà de ça, en rassemblant un nombre conséquent de participants·es de tout le pays dans des salles bondées sans la moindre mesure de prévention, le CdL participe activement à la propagation des épidémies.

Erratum du  : les masques FFP2 protègent bel et bien leur porteurs·ses, mais ils ne sont réellement efficaces une journée que si tout le monde joue le jeu.

Addendum du  : toutes les personnes qui souhaiteraient se masquer ne peuvent pas le faire, c’est pourquoi il faut que toutes les personnes qui le peuvent se masquent pour les protéger. Le but n’est pas de faire les choses parfaitement mais de les faire au mieux de nos moyens, et à l’heure actuelle nous sommes collectivement lamentables. L’organisation de l’évènement a le pouvoir de participer à reverser la donne, de conscientiser nos milieux, de protéger et inclure nos camarades.

Une conférence de mecs blancs

Les conférences que j’ai citées comme marquantes pourraient faire croire à une parité de genre des intervenants·es, mais il n’en est rien. Les militant·es antipatriarcales doivent malheureusement faire un énorme travail pour leur inclusion et l’organisation du CdL s’est déjà faite remonter les bretelles il y a quelques années pour avoir refusé des présentations de femmes quand dans le même temps elle en accordait plusieurs à des hommes.

Lors de sa keynote, le présentateur nous expliquait que la mode est aux IAs, que c’est là que sont les financements en ce moment et que par conséquent et pour leur propre bien, les projets logiciels libres se doivent de suivre l’exemple de VLC et inclure des fonctionnalités en IA. La démonstration m’a laissé peu convaincu. Le lendemain, dans la même salle et au même créneau horaire, Khrys donnait une présentation nous invitant à être technocritiques des IAs via une angle féministe, soulignant la nécessité du libre. La présentation de Khrys était pertinente, percutante, intéressante, stimulante et salvatrice en nous invitant à aller contre le capitalisme et le patriarcat, et non pas à s’en accommoder comme la keynote de la veille. Sujet similaire, angle différent, la seconde présentation était à mon sens bien meilleure, mais c’est à une homme plutôt qu’à une femme que l’organisation a choisi de donner le créneau de keynote, créneau sans autres présentations pour lui faire concurrence. Khrys qui quant-à-elle a dû partager l’audience avec les nombreuses autres présentations du créneau a malgré tout réussi à faire salle comble.

De la même manière, si la présentation d’Isabella Vanni sur l’inclusion des femmes et des minorités de genre à l’April s’est vue allouée l’amphithéâtre, elle a été mise en concurrence avec une présentation sur la censure d’internet en France qui a fait salle comble, face à un amphi presque désert pour Isabella. Si la présentation sur la censure d’internet a été annulée au dernier moment, ce manquement de programmation a été relevé et critiqué.

La conférence se clôt sur une slide nous annonçant 1 200 participants à cette édition. On ne saura pas combien de participantes. Probablement que les personnes ayant réalisé ces slides n’ont pas assisté à la présentation d’Isabella Vanni qui nous expliquait pourtant bien combien le masculin neutre participe activement à l’absence des femmes dans les milieux de l’informatique et du libre.

Un autre point tristement notable est la blanchité des intervenants·es. La conférence est un véritable entre-soi blanc, pas étonnant que des propos racistes puissent être proférés pendant la table ronde sans soulever la moindre réaction, et il y a fort à parier que ça participe du fait que les personnes racisées n’y participent pas plus.

J’ai cru comprendre que certaines conférences vont activement rechercher des personnes pour présenter, mettant réellement la diversité du milieu en avant et aidant de ce fait à la rétablir en normalisant la présence, la visibilité et les paroles des personnes minorisées. J’ai entendu du bien de MiXiT et de Paris Web du point de vue de l’inclusivité, peut-être y-aurait-il à creuser dans la façon dont elles s’organisent ? Je ne dis pas que l’organisation du CdL ne se soucie pas de la diversité des intervenants·es, mais je suis convaincu que d’autres parviennent beaucoup mieux à la réaliser et que ces conférences devraient servir de points de référence.

Le CdL a beaucoup de tracks en parallèle mais je me demande si cette quantité ne se fait pas au détriment de la qualité de la conférence, et ce malgré la diversité des sujets abordés. Peut-être vaudrait-il mieux avoir moins des tracks mais des salles plus pleines, notamment l’amphithéâtre qui héberge la track principale ? Je peux entendre que réduire le nombre de tracks augmenterait l’occupation des salles de cours déjà bondées, ce qui serait effectivement un problème, mais peut-être y’a-t-il d’autres amphis à utiliser ? J’imagine que si l’organisation du CdL pouvait en avoir d’autres, elle ne les aurait pas boudés, et que donc elle ne peut en avoir qu’un seul.

Vous noterez que si les présentations qui m’ont marquées sont pour moitié présentées par des présentatrices et ce malgré une très vaste majorité de présentateurs, cela veut dire que j’ai trouvé en moyennes les présentations données par des femmes de meilleure qualité. Je serais taquin, je suggèrerais que réduire le nombre de présentations en donnant la priorité aux non-mecs et non-blancs augmenterait la qualité de la conférence. Allez, soyons taquins, je le suggère. Mais qu’on s’entende, je ne dis pas que la parité et l’inclusivité doivent être atteintes pour avoir une meilleure conférence, je note juste qu’une meilleure conférence serait un effet de bord bénéfique de leur atteinte.

Conclusion

J’ai volontairement omis de détailler les personnes qui ont commis ces impairs parce que je ne souhaite pas m’en prendre à elles mais aux problèmes. On vit dans des sociétés patriarcales, racistes, sanistes, validistes, et le milieu du libre n’y échappe pas. Je ne souhaite pas lutter contre des personnes mais contre des systèmes et les discours qui les soutiennent. J’espère que les personnes qui se reconnaîtraient dans cet article ne prendront pas mes remarques comme des attaques mais comme un appel à faire plus attention. Il y a certainement des tas d’autres problèmes que je n’ai pas vus, soit parce que je n’en ai pas eu conscience, soit parce que je n’en ai pas été témoin, soit parce que je n’ai pas le recul ou le vécu nécessaire. Je n’ai par exemple aucune idée de combien la conférence est accessible en fauteuil roulant. Mon but n’est de toute façon pas de faire une liste exhaustive mais de faire un retour sur mon vécu de la conférence, pointant du doigt des choses que je trouve graves et qui je pense devraient être sérieusement prises en compte. De plus, je tiens à présenter mes excuses de ne pas avoir plus sourcé et référencé mes propos, cet article a été écrit dans l’urgence et sa rédaction m’a fatigué, je n’ai plus l’énergie pour plus de recherches.

Je crois sincèrement aux volontés d’inclusion du CdL, tout autant que je sais qu’on vit dans des sociétés où les oppressions sont tellement banalisées qu’elles sont invisibles à la majorité. J’appelle néanmoins l’organisation du CdL à se remettre en question, les intentions d’inclusivité ne doivent pas rester des mots sur une page web et doivent être activement mises en pratique. Je ne souhaite pas spécifiquement jeter la pierre à son organisation, le CdL est une conférence que j’aime sincèrement et ce genre de problèmes sont malheureusement extrêmement répandus, non seulement dans la société mais également dans les milieux du libres. En disant ça, je souhaite pointer du doigt l’entièreté des mouvements des logiciels libres comme de la culture libre.

Conférence majeure du libre, le FOSDEM accueille des milliers de personnes et probablement plus de 10 000 dans un espace incroyablement sous-dimensionné. Évènement hautement international, les participants·es viennent de partout autour du monde. Le FOSDEM est un véritable lieu d’échange international d’épidémies où l’on blague à demi-mots que l’on tu n’as pas pleinement vécu la conférence si l’on re rentre pas avec une grippe du FOSDEM. L’organisation du FOSDEM ferme volontairement les yeux sur le problème et n’a absolument aucune politique sanitaire, la rendant activement complice de la propagation des épidémies et pandémies. À cette complicité doit s’ajouter celles des entreprises du libre qui incitent sinon forcent leurs employés·es à participer à la conférence bruxelloise.

Bien qu’étant intimiste avec sa cinquantaine de participants·es, j’ai de nouveau attrapé le covid pendant le Berlin Mini GUADEC 2024. Les mesures de protection mises en place étaient là encore insuffisantes, et nous étions de mémoire seulement 4 à se masquer, tout en devant passer des journées entières dans le même espace mal aéré. Encore une fois, je participais à la protection de personnes qui refusaient de m’accorder la même en ne se masquant pas, et l’organisation est responsable de l’insuffisance des mesures mises en place.

Je ne demande pas à ce que les conférences soient parfaites, aucune ne le sera jamais, et je ne prétends surtout pas pouvoir faire aussi bien sinon mieux. Je tiens à saluer l’organisation du CdL pour faire avoir fait un évènement assez chouette pour qu’on ait envie de le voir aller de l’avant, quitte à devoir le secouer un peu pour qu’il devienne réellement inclusif. J’espère que l’équipe du CdL ne prendra pas les problèmes que je remonte comme des attaques, tout autant que j’espère que les autres conférences du libre sauront s’assurer de ne pas faire les mêmes erreurs. J’espère également que les pistes d’amélioration que j’ai données aideront, je ne prétends pas qu’elles sont toutes faciles à mettre en place mais je veux bien, à mon échelle et avec l’énergie que j’ai, me tenir disponible pour aider l’organisation du CdL ou d’une autre conférence à trouver comment arranger la situation.